lundi 29 juin 2009

Evolution

Pour la treizième fois, Lin se réveilla dans la Chambre. La Chambre était un cube métallique. Il était tiède et soyeux au toucher. Ses côtés, qu’aucun son ni aucune lumière ne semblait pouvoir traverser, devaient mesurer dans les 1m20. Et il n’y avait rien d’autre à en dire.
« Treizième réveil, treizième jour. » pensa Lin. C’était sans doute faux, mais faute d’une meilleure méthode pour évaluer le temps écoulé, Lin avait décidé de compter comme ça.
Treize jours. Elle avait toujours de l’air. Elle n’avait toujours pas faim. Ni soif. Elle n’était pas sale. Elle se sentait bien, physiquement et mentalement. Elle était déterminée.

Quand elle s’était réveillée pour la première fois dans la Chambre, sa nudité avait été la première chose qu’elle avait remarquée et elle avait été terrifiée à l’idée qu’elle avait peut-être été violée. Instinctivement, elle avait porté la main à son sexe et s’était rendu compte qu’elle avait été rasée. Quand peu après, elle avait aussi compris qu’elle était dans une boite, sa terreur avait pris une toute autre dimension. Terreur et rage avaient été les seules émotions qu’elle avait ressenties ce premier jour. Elle avait crié, pleuré et frappé contre les parois du cube pendant des heures sans discontinuer. Jusqu’à s’effondrer d’épuisement. Les mains en sang et la voix brisée.
Quand elle s’était réveillée pour la deuxième fois, elle s’était immédiatement sentie beaucoup plus calme. Elle avait décidé qu’elle ne pouvait pas être la victime d’un psychopathe. Tout lui paraissait trop propre. Cela ressemblait plutôt à une expérience. Et au lieu de l’effrayer davantage, cela l’apaisa. L’idée d’organisation et de contrôle la fit se sentir presque en sécurité. Elle s’imagina comme un rouage de cette expérience. Un rouage qui avait un rôle à jouer. Il s’agissait juste de trouver lequel. Et elle avait entrepris d’explorer minutieusement sa situation. Elle avait découvert que ses mains, encore un peu douloureuses, n’étaient plus ensanglantées. Et que ses poils pubiens n’étaient pas les seuls à avoir disparu : elle n’avait plus aucun poil, ni aucun cheveu, sur son corps. Même ses cils et ses sourcils avaient été enlevés. En dépit de cette étrangeté, elle se sentait bien physiquement. Alors même qu’elle s’était évanouie d’épuisement la veille. Elle en conclut qu’on avait pris soin d’elle et que l’absence de poils devait être une mesure d’hygiène. La température était idéale. Bien que spartiate, le cube était relativement confortable. Tout indiquait que ceux qui l’avaient mise là tenaient à sa santé. Rassurée, elle avait entamé l’inspection du cube et avait rapidement trouvé l’inscription. Elle était gravée dans le sol, juste devant elle. En passant ses doigts dessus, elle avait fini par la décrypter. Elle disait : « En dehors de ces murs, rien ne vous retient. ».
Elle avait trouvé son rôle. Ils voulaient qu’elle s’échappe.

Lin avait décidé de s’accorder un jour par hypothèse.
Elle avait occupé la fin du deuxième jour et le troisième à explorer le cube. Touchant, caressant, pressant, frappant, léchant chaque millimètre carré de surface. Rien ne s’était produit. En dehors de l’inscription, les cloisons de la Chambre étaient parfaitement lisses.
Le quatrième jour, elle avait écouté. Elle avait collé son oreille à chacune des parois, calmé les battements de son cœur et écouté de toutes ses forces. Elle était à la recherche d’instructions, ou d’indices sur la façon de sortir. Ou de signes qu’il y avait d’autres cubes à côté du sien. Mais elle n’avait entendu rien d’autre que son sang filant dans ses veines.
Le cinquième jour, elle avait parlé. Elle avait posé des questions, plaidé sa cause, supplié pour sa liberté. Elle avait raconté sa vie et tout ce qui lui passait par la tête. Elle avait essayé toutes les formules magiques et toutes les solutions d’énigmes connues dont elle se souvenait. Elle avait essayé, par ordre alphabétique, de dire tous les mots qu’elle connaissait. Puis, tous les noms. Elle avait compté jusqu’à cinq mille puis avait lancé des nombres au hasard. En vain.
Le sixième jour, elle avait essayé d’être une clé dans l’espace. Elle avait contorsionné son corps dans un sens et dans l’autre, très lentement. Dans toutes les positions qui lui étaient venues à l’esprit.
Le septième jour, influencée par la conscience aigue qu’elle avait eue de son corps la veille, elle avait tenté d’ouvrir le cube par le plaisir. Elle avait commencé par son propre plaisir. Puis s’était attelé au plaisir de ceux qui l’avaient mise là et l’observaient peut-être. Elle avait même tenté de donner du plaisir au cube.
Le huitième jour, elle n’avait rien fait. Elle n’avait pas bougé de son réveil à son coucher. C’était une tentative d’évasion, bien sur. Mais elle n’avait pas vraiment eu le choix. Elle n’avait plus d’idée. Elle avait fait avec son corps tout ce qu’elle savait faire. Le corps n’était pas la solution. Elle n’avait pas éprouvé son odorat mais, en huit jours, elle n’avait pas senti la moindre odeur. Ce n’était pas la peine d’essayer.

Ne rien faire n’ouvrit pas le cube. Mais cela permit à Lin de réfléchir et de faire le point sur son expérience jusqu’alors. Et c’est cette absence d’odeur qui la mit sur la voie. Elle se rendit compte qu’en réalité, elle n’avait quasiment rien ressenti du tout. Elle n’avait rien entendu, rien goûté et rien vu. Et en dehors de son contact avec le sol du cube, tous ses autres contacts avaient été provoqués par elle. L’absence de sensation allait plus loin : elle n’avait pas mal au ventre, ni à la tête, ni à ses membres malgré le manque d’exercice et le fait qu’elle ne s’était pas tenue droite depuis plus d’une semaine. L’occasionnel battement de cœur mis à part, elle ne sentait pas son corps. A un point qui lui parut nécessairement artificiel. Ceux qui l’avait mise là et s’occupait d’elle devaient la droguer. Sinon, elle aurait pu sentir sa propre odeur, son organisme fonctionner et ses muscles s’engourdir. La solution ne viendrait donc pas de son corps. Mais de son esprit.

Ce treizième jour, comme les quatre jours précédents, Lin se mit en tailleur au centre du cube dès qu’elle se réveilla et elle se concentra sur l’idée de s’échapper. Elle fit le vide en elle. Chose rendue excessivement aisée par l’absence totale de sensation. Et progressivement visualisa le cube. De l’intérieur, avec elle en son centre. Puis de l’extérieur. Elle essaya de ressentir l’extérieur plutôt que de l’imaginer, se concentrant sur les sensations de tangibilité qu’elle avait commencé à ressentir l’avant-veille. Elle cherchait une télécommande ou un bouton sur lequel elle pourrait appuyer. Mais les faces du cube étaient aussi lisses de l’autre côté que du sien. Elle remarqua qu’elle se voyait encore à travers. Elle s’éloigna encore un peu et vit les autres Chambres. Elle vit des hommes passer dans les rangées et prendre des notes en regardant à l’intérieur des cubes. Dedans, il y avait des hommes et des femmes. Tous nus et glabres. Certains hurlaient et donnaient des coups dans tous les sens. D’autres tâtonnaient autour d’eux. La plupart étaient en fœtus sur le sol et ne bougeaient pas. Quelques-uns, très peu, étaient en tailleur et méditaient, comme Lin. L’un de ceux là attira son attention. Il semblait flou. Comme si les particules constituant son corps tentaient de se mélanger avec l’air extérieur. L’impression de flou se fit de plus en plus forte. Lin s’approcha. L’homme ressemblait maintenant à une statue de sable ou de poussière. Une volute de chair se détacha lentement de la statue et vint lécher la paroi du cube, à la manière d’un tentacule. Elle glissa le long de la paroi jusqu’à une arête et commença à se tortiller dans tous les sens. Comme si elle essayait de se faufiler dans un interstice. Lin s’approcha encore, elle tenait peut-être la clé de son évasion ! Mais les particules restaient hermétiquement contenues dans le cube malgré les gesticulations toujours plus violentes du tentacule. La surface entière de la statue commençait à montrer des signes d’agitation. Elle était secouée de vagues et de remous. Aucun des surveillants ne semblaient avoir remarqué ce cube. L’homme sable continua à s’agiter frénétiquement un moment, puis il s’immobilisa un instant. Et explosa ! Une nuée de particules jaillit dans toutes les directions et vint s’écraser sur les parois du cube. Celles-ci furent bientôt recouvertes d’une fine couche de poussière. A la surface de laquelle, Lin vit apparaître de petits tourbillons. L’homme essayait de se forer un passage ! Les tourbillons continuèrent quelques secondes puis s’arrêtèrent brutalement. Et la volonté de l’homme sable se désagrégea. Les particules se détachèrent une à une du cube et tombèrent sans résistance à terre jusqu’à former un petit bassin de sable. Une puissante alarme se mit à sonner. Lin sursauta et se retrouva dans le noir total. Elle avait perdu sa concentration et avait réintégré son corps. La dernière chose qu’elle avait vu était une demi-douzaine de surveillants se précipiter vers le cube de l’homme sable, l’air inquiets. Ils espéraient peut-être le sauver. Il n’y arriverait pas. Il était déjà mort. Lin sentit un profond sentiment de perte l’envahir. Elle se roula en boule contre un coin de sa Chambre et pleura.

Le lendemain, Lin n’essaya pas de ressortir de son cube par la force de son esprit. Elle avait abandonné tout désir de s’échapper. Elle s’installa confortablement dans sa Chambre et rêvassa. Sa respiration fut bientôt remplacée par le bruit des vagues. Ses doigts s’enfonçaient dans le sable chaud. Il régnait une clarté si aveuglante qu’elle n’osa pas rouvrir les yeux. Une enivrante odeur d’iode et de crème solaire vint emplir ses narines. Elle fit courir ses mains le long de son corps. Elle était encore nue mais ses cheveux et sa toison pubienne avaient repoussé. Lin s’étira et poussa un long soupir. Elle se leva et marcha vers le bruit des vagues. L’eau fraîche vint vite lui mordiller les orteils. Lin s’y immergea, frissonnante d’extase. Elle marcha jusqu’à n’avoir plus pied, et continua à la nage jusqu’à ce qu’elle n’entende plus les mouettes. Là, elle s’arrêta et se laissa couler avec délice. Derrière ses paupières, la lumière décrut rapidement jusqu’à disparaître totalement. Elle se rendit compte alors qu’elle ne tombait plus. Elle flottait, bras et jambes écartés, ses cheveux ondulants imperceptiblement derrière elle. Elle ne sentait rien d’autre qu’un intense sentiment de paix. Elle ouvrit les yeux, contempla le néant devant elle et sourit. Elle avait retrouvé la liberté.

Dans l’immense entrepôt aux cubes, le chef de projet regardait l’expression béate de Lin avec un mélange de résignation et de dégoût. Encore un sujet prometteur qui devenait un Rêveur. Et le lendemain de la perte d’un Métamorphe potentiel avec ça ! Quelle faiblesse répugnante !
Il rendit ses notes au chercheur qui l’accompagnait et lui dit : « Tuez-la ». Puis il fit demi-tour et s’éloigna en secouant la tête. Evoluer allait prendre du temps.

10 commentaires:

  1. One piece T.50 est sorti si ca t'interesse

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  2. Mec, j'ai l'impression qu'tu m'prends pour un bleu.. l'ai d'ja lu deux fois XD

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  3. bien joué ^^
    Mais comme ils l'ont avancé j'étais pas sur

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  4. Je suis sur que le type a la derniere page c'est Crieg

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  5. je dis ca pour l'armure.
    Sinon je pense que c'est ton histoire la plus bizarre.

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  6. ^^ tu crois ? ai pourtant pas inventé grand chose là-dedans..

    Et, nom de Dieu, c'est qui Crieg ??

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  7. Le mec avec une armure sur le navire restaurant

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  8. Mmmmmmh !
    C'est pas impossible du tout ça !
    Pour ça qu'il cacherait son visage.
    Cela dit, je le vois pas trop en motard. Alors je dis 'Non' !

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