jeudi 25 juin 2009

Caïn le vétéran

Caïn sentit avec satisfaction son poing traverser l’armure et fracasser le thorax de son adversaire. Comme d’habitude, il lui avait fallu un peu de temps pour trouver son rythme. Mais il y était maintenant. Un autre soldat courait vers lui. Caïn fit un grand pas en avant et fut juste à côté du fantassin. Il planta fermement son pied dans le sol et lança son coup avec l’ensemble de son corps. D’abord, il fit tourner légèrement son genou puis sa hanche, son épaule, son coude et son poing, enfin, à l’instant précis où il touchait son assaillant à la mâchoire. Le crâne et le cou brisés, le soldat était mort avant même d’avoir décollé du sol. Derrière lui, deux autres guerriers avaient leur épée levée, prêts à frapper. Caïn les avait vu. Il n’arrêta pas son bras après le coup de poing. Sa main atterrit sur le pommeau de son sabre et rejaillit aussitôt. Les têtes des deux guerriers et le corps du soldat touchèrent le sol au même instant. Sans marquer de pause, Caïn replaça son sabre dans son fourreau, tourna sur lui-même et se propulsa haut dans les airs vers un cavalier à quelques mètres de là. Celui-ci le vit arriver et sourit. Un homme en l’air est facile à embrocher. Il brandit sa lance. Caïn souriait aussi. Alors que le cavalier portait son coup, Caïn dévia la pointe de l’arme du pied gauche et écrasa de toutes ses forces son pied droit sur le visage de l’autre. Avant qu’ils aient touché le sol, Caïn avait repéré le dernier soldat encore debout dans les environs immédiats. Il s’enfuyait. Une fois à terre, Caïn retira son pied du casque du cavalier. Il fit passer la lance de sa main gauche à sa main droite. Il l’avait saisie dans sa chute. Il se plaça de profil sans se presser. Le fuyard était maintenant à une quarantaine de pas. Caïn lança son buste en avant en laissant sa main loin derrière. A la manière d’une catapulte, il tendit les muscles de son épaule jusqu’à l’extrême et propulsa la lance. Qui traversa l’homme de part en part et vint se ficher profondément dans un arbre un peu plus loin.
Son rythme. En époussetant ses mains l’une contre l’autre, Caïn se demanda même s’il ne s’était pas encore amélioré. A cinquante-trois ans.
Il regarda de nouveau autour de lui pour s’assurer qu’il était le dernier survivant. La bataille faisait encore rage un peu plus loin mais cela ne le concernait pas. Personne ne lui demandait de s’occuper du menu fretin. Maintenant qu’une cinquantaine d’ennemis gisaient dans leur sang à ses pieds, seuls des adversaires valeureux viendraient le défier. Et ces hommes d’exception étaient rares. Il avait du temps devant lui.
Il avait encore plein d’énergie et ne voulait pas se refroidir trop vite. Alors il décida de peaufiner sa mise en scène. Il alla chercher les cadavres un par un et en fit un petit monticule au sommet duquel il s’assit confortablement. Il planta son sabre dans une tête à côté de lui, et sortit son casse-croûte. Il avait du vin, du pain et de la viande séchée. Rien de mieux pour tromper l’attente.
Caïn se bâfra en toute quiétude. Bercé par sa mastication consciencieuse, le fracas lointain de la bataille et l’occasionnel croassement joyeux d’un corbeau ayant trouvé une viande suffisamment faisandée à son goût. Il n’y avait pas un nuage dans le ciel. Une petite brise maintenait la température à un niveau très agréable et transportait avec elle une odeur inespérée de chêne vert. L’homme sur lequel Caïn s’était assis avait un petit surplus de graisse extraordinairement confortable. Les rares soldats ennemis à passer aux alentours prenaient leurs jambes à leur cou à la seule vue de son trône. Une délicieuse après-midi s’installait doucement. Caïn laissa libre cours à ses pensées. Décousues d’abord, puis plus précises.

Je suis un homme. Et je suis un guerrier. Je vis pour le combat. Mais je vis aussi pour ce genre d’instants de paix.
Je ne cherche pas la gloire. Mais je l’apprécie. Je ne veux pas de femmes. Pourtant j’en ai eu dans ma vie.
Décidemment, quel délice cette viande séchée ! J’aurais du en prendre plus.
Si Dieu me reproche d’avoir tué tant de gens, il faudra peut-être que je le tue aussi. Je me demande à quel point il est grave de tuer un Dieu. Est-ce qu’il vaut dix hommes ? Ou cent ? Ou tous les hommes sur Terre ?

Je pense savoir pourquoi ma fille m’a demandé de l’entraîner à l’arc hier. Elle va sans doute s’en servir pour attaquer ce garçon qui a essayé de soulever sa robe l’autre jour. J’aurais peut-être du aller lui couper une jambe ce matin avant de partir, elle a encore un peu de mal avec les cibles mouvantes. Bah. Elle s’en sortira bien toute seule.
Je partirais bien à la retraite pour devenir boucher. Je pourrais manger autant de viande séchée que je veux. J’apprendrais à la faire moi-même. Mon fils pourrait mettre au point une machine pour m’envoyer des morceaux de viande séchée à intervalles réguliers pendant que je travaille. Il est habile de ses mains, le petit. Il sait se rendre utile.
Il parait qu’Octave le sanguinaire est devenu forgeron à 45 ans. Comme ça, du jour au lendemain. Il a coupé la tête de son seigneur qui ne voulait pas le laisser partir, et il est allé s’installer dans le village voisin. Où personne n’a jamais vraiment osé demander pourquoi le forgeron avait changé de tête et s’était mis à faire des fers à cheval carrés. Il paraît qu’il a un bon niveau maintenant, et qu’on l’apprécierait presque. Ca fait rêver.
Je n’aurais même pas besoin de tuer mon seigneur. Je lui ai entraîné au moins cinq guerriers dignes de me succéder. Ils se sont déjà fait une petite réputation dans les milieux spécialisés. On a plus qu’à les lâcher dans la nature. Et je pourrais devenir boucher. Le village n’en a plus depuis trois ou quatre ans. On est obligé d’acheter la viande chez les voisins.
Mon fils travaille avec les ingénieurs. Ma fille est une battante. Je ne m’inquiète pas pour eux. Ma femme gueulera peut-être un peu, mais sans doute pas beaucoup plus que d’habitude.
Y’a plus qu’à y aller.
Y’a plus qu’à y aller.
De la viande séchée toute la journée. C’est ça.

Le soir tombait. Personne n’était venu le défier. Les bruits de combats s’espaçaient de plus en plus. Caïn se releva en grimaçant, raidi par sa longue inactivité. Il dévala la pente de cadavres en chassant les corbeaux. La puanteur en bas était suffocante.
Caïn regarda tout autour de lui et se dirigea vers son village, l’humeur incertaine.

3 commentaires:

  1. Ca, je trouve ça un peu moins intéressant. Les descriptions du début sont bien mais après, ça s'enlise un peu. On dit "bâfrer" et non "se bâfrer"...

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  2. Parfaitement.
    D'ailleurs, j'avais pas la moindre idée de ce que j'allais raconter à la fin du combat quand j'ai commencé l'histoire ^^
    Pour l'instant, j'en aime bien une sur deux moi. La prochaine me plait beaucoup. Et celle d'après moins. Et celle encore d'après beaucoup.
    Et j'arrive pas à écrire celle d'aujourd'hui XD
    Exceptionellement, je vais essayer de l'écrire plus tard, je pense.

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