vendredi 3 juillet 2009

Thérapie

Le matin du mercredi 1 juillet 2009, jour funeste entre tous, Léon Létrangleur vit tous ses arguments réfutés les uns après les autres par une Madame Théière implacable et, en dépit de ce qu’il répétait en moyenne 734 fois par jour depuis sa naissance, il dut admettre une bonne fois pour toute qu’il était fou à lier. Mais.. vraiment ? D’un air piteux, Léon regarda tour à tour tous ceux qui avaient participé au débat. Aucun n’osait le regarder. Il termina son tour de table sur Madame Théière qui hocha gravement du bec. Vraiment.
Alors il fallait prendre des résolutions ! Léon serra le poing. Pas le temps de jeter son petit-déjeuner par la fenêtre, pas le temps de repasser ses factures ou d’aller prendre sa leçon matinale de tae kwon do avec Maître Ibiscus ; s’il était fou, il n’y avait qu’une seule chose à faire. Il fallait qu’il appelle l’asile psychiatrique et qu’il se rende sur le champ. Sans perdre une seconde, Léon prit son banjo et composa une petite sérénade : « Allô ? Je suis bien à l’hôpital psychiatrique ? Non ? Je suis chez le cordonnier !? Ah ben ça, quel drôle de hasard. J’avais justement besoin de mocassins inhibiteurs de folie, vous n’auriez pas ça en stock ? Je fais du parapente, en pointure. Non ? Ah. C’est bien dommage. Comment donc ? Vraiment ? Vous savez comment ne plus être fou ? Mais c’est extraordinaire ! Allez-y, vous avez toute mon attention. Oui. Oui. D’accord. Une usine désaffectée, vous êtes sûr ? Très bien ! Eh bien, merci infiniment, cher Monsieur, vous rencontrer ainsi fut pour moi véritablement providentiel. Bonne journée ! ». Léon chantonna distraitement le refrain une seconde fois afin de terminer harmonieusement le morceau puis, sautant sur ses pieds, projeta le banjo contre le mur le plus proche. Il fila dans sa cuisine et sortit un maquereau surgelé de son congélateur. Il le posa délicatement dans l’évier, fit couler de l’eau chaude et alla chercher un gros maillet dans ses toilettes. Quand il revint, le poisson était revenu à la vie. Léon leva son arme haut au-dessus de sa tête et siffla d’un air menaçant : « VILE POISCAILLE ! Il semblerait que nos amis communs aient besoin d’une usine désaffectée. Révèle-moi la location de la plus proche ou je t’aplatis dans l’instant ! ». Suant à grosses bulles, le maquereau répliqua : « Ok, Léon, ok ! Calme-toi.. Il me faut juste un plan. ».

Deux semaines plus tard, Denis Malher se promenait aventureusement avec sa femme, Désirée, et ses trois enfants, Danny, Denver et Igorette, dans une zone industrielle lorsqu’il se retrouva nez à nez avec un panneau sur lequel on pouvait lire : « Visite guidée : 7€34 ». Le signe était tenu à bout de bras par un homme vêtu d’une fort étrange manière. Pour commencer, il avait sur la tête un petit plot orange, comme ceux dont on se sert pour signaliser des travaux sur l’autoroute, par le sommet duquel jaillissait un épais bouquet de fils barbelés. Ensuite, il avait une bâche couverte de peinture autour de la taille et, en guise de veste, un artefact douteux confectionné à partir d’une multitude de planches de bois, de clous, de vis et de scotch. Enfin, il portait autour du poignet une boite de conserve dans laquelle avait été troué le mot ‘FOU’. Denis se pencha sur le côté pour aller regarder l’édifice que cachait l’énergumène. C’était une usine désaffectée. Mr Malher se retourna tout excité vers sa famille : « Un ouvrier. C’est un ouvrier ! J’en suis sûr ! Comme c’est pittoresque ! Oh, les enfants, allons-y, je suis sûr que ça vous plaira. », et, à l’exception d’Igorette qui lorgnait jalousement le couvre-chef de Léon, tous acquiescèrent avec enthousiasme.

Léon, assis sur un bidon d’essence, regardait avec admiration la superbe veste qu’il venait de troquer au patriarche de cette charmante famille en échange de son chapeau. La visite avait été un succès retentissant. Les enfants avaient adoré l’orgue tuyau et les clés à molette qui allaient avec et la mère était venue lui murmurer à l’oreille, avant de partir, que son Danse et dialogues autour de la rouille l’avait mise dans un délicieux état second. Elle lui avait même ensuite soufflé un baiser sur la joue et glissé un papier dans la main, que Léon s’était empressé de gober ; ces choses-là se mangent brûlantes. Ils avaient tous promis qu’ils feraient venir leurs amis. Léon leur avait répondu qu’il les recevrait avec plaisir mais.. Il se frappa le front ! Il avait oublié de leur spécifier que la saison des mouches approchait et qu’ils feraient mieux de réserver s’ils voulaient être sûrs d’avoir des places. Il s’empressa d’aller tirer une fusée éclairante pour les prévenir.

Le bidon d’essence de Léon Létrangleur, dans lequel il conservait ses recettes, fut bientôt plein à ras bord. Il décida d’embaucher son premier employé. C’était une autruche unijambiste et très cultivée qui répondait au doux nom de Kant. Il l’avait fait venir d’Autriche à grands frais. La période d’essai fut extrêmement concluante : les gens l’adoraient, et l’argent continua de pleuvoir. Un deuxième et un troisième employé arrivèrent peu après et Léon put arrêter de faire les visites lui-même. L’endroit tournait magnifiquement, avec ou sans lui.
Léon devint un homme riche. Mais il était encore fou. Le matin du vendredi 1 juillet 2011, deux ans jour pour jour après son épiphanie, cela cessa cependant de le tourmenter. Il tenait entre ses mains un paquet qu’il attendait depuis bien longtemps et pour l’obtention duquel il avait dépensé une fortune considérable. Ses mocassins inhibiteurs de folie, pointure parapente, étaient enfin là !

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